8 Il est temps...
- Clement Clasquin
- 1 févr. 2019
- 3 min de lecture
Le 08/12/2019
12:00
Pour la dernière fois...
Base de Port aux Français (PAF) / Golf du Morbihan / Archipel de Kerguelen / Terres Australes et Antarctiques françaises
Un an déjà. Comment décrire… comment expliquer ? Les mots manquent inévitablement. Une parenthèse? Ou ai-je rêvé peut-être ?
Un an que je me réveille avec ce paysage magnifique.

Prendre le chaland au petit matin, croiser des dauphins, des albatros, quelques rares globicéphales…







Marcher des heures, oublier les jours, les semaines dans des paysages sans horizon…


Comment retranscrire cette drôle d’impression que la terre a tourné une fois autour du soleil sans nous ? Comment expliquer le déchirement qui s'annonce... Quitter notre île, notre foyer depuis tout ce temps. Comment tirer à tout jamais un trait sur cette vie d'aventures australes? Je ne m'y résous pas... y suis-je seulement forcé?
Aujourd’hui je prends le temps de coucher toutes ces interrogations sur le papier. Ces séances d’écriture –bien que rares, j'en conviens– m’ont fait du bien. C’est sur ces quelques lignes que se cristallisent les pensées qui m’ont habité lors de mes marches à travers la péninsule Courbet ou lors des longues heures passées, tapis derrière un caillou, parfois sous un grand soleil, parfois légèrement chahuté par le vent austral. Dans cette aventure je ne vois rien qui ne soit pas réalisable par chacun d’entre nous. Pas d’héroïsme polaire (comme on s’amuse à dire dans les Australes) dans tout ça. C’est le lieu qui est magique, les bonhommes rejouent la même pièce depuis des années. En ce qui me concerne, Kerguelen c’est une chance saisie au bon moment mais aussi une décision. La décision que, quoique nous réserve cette année loin de tout, on l’accepte et on traverse ces 14 mois avec la force d’un brise-glace. Un an, c’est jamais tout rose. Dans les australes tout est exacerbé, le moindre petit tracas prend une ampleur de problème d’état. L’isolement crée des situations parfois très compliquées. Tout l’art est de garder à l’esprit que l’on est là où l’on a rêvé d’être, perdu dans l’océan, entouré d’une faune incroyable, bercé par un quotidien sans commune mesure avec la routine métropolitaine. A grand coup de zodiac, hélico, rando et autres trucs dont on rêve quand on est gosse, on vit quelque chose qu’il faut savourer. Plus rien n'a d'importance que le moment présent. Je ne me suis pas servi de ma carte bancaire pendant un an, idem pour le téléphone, Facebook et autres moyens de communication moderne.
Il faut se le répéter tous les soirs, surtout ne pas oublier de profiter de ces moments, surtout ne pas les considérer comme une routine insipide. Chaque transit doit être le premier, chaque tour en hélico doit être sensationnel. Un an c’est long, c’est très long mais c’est aussi une seconde quand on prend son pied, quand on se sait chanceux et c’est un centième ou un millième de seconde quand on réalise que l’on va être bientôt privé de toutes ces péripéties…


Détails de sterne
… Alors c’est bientôt fini ? Je forme mes successeurs, m’efface tout doucement. J’essaye de les mettre sur des rails. Martin et Antonin sont deux bons gars qui vont, j’en suis convaincu, relever ce défi. Pas celui du nombre d'albatros sauvés ou du nombre de kilomètres parcourus en un jour mais celui d’être toujours à fond, même sous la pluie, dans une tempête, lorsque le froid te mord la peau ou que l'eau s'infiltre dans les moindres centimètres carrés de tes vêtements....
PROFITER.
Dans moins de 15 jours, je remonte dans le Marion Dufresne… rien que d’y penser j’ai des sueurs froides mais je refuse de vivre le reste de ma vie dans la nostalgie. Et si l'aventure continuait, même après? Et si de cette année, j'en tirais le meilleur pendant des décennies! et si cette aventure n'était que la première sur une longue liste. Comme mes successeurs, je suis prêt à relever le défi d'être toujours à fond à Kerguelen ou ailleurs... Alors allons-y!!!
J’ai hâte maintenant de revoir ma famille et mes amis en commençant naturellement par Raffaëlla et Vincent, que je remercie de tout ce qu’ils ont fait pour que je puisse vivre ça. Papa, maman, MERCI. Je n’ai pas envie de partir de Kerguelen mais je veux rentrer chez moi, au moins un temps. Maintenant il ne me reste plus qu’à dire:
Bienvenue Martin et Antonin !
…. Adieu Kerguelen !


Ps : Peut-être que ce n’est qu’un au revoir…
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